Où en sont les prisons françaises ?

La commission parlementaire d’enquête sur les dysfonctionnements et les manquements de la politique pénitentiaire française, dont la rapporteure était la députée Caroline Abadie, a déposé son rapport le 12 janvier 2022. Il constitue une mine d’informations (plus de 400 pages) pour ceux qui, professionnels ou bénévoles, sont concernés par la prison.

Il convient d’abord de souligner un biais dans l’intitulé même de la commission. N’y aurait-il que des dysfonctionnements et des manquements ? Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, souligne que celle-ci est probablement, de toutes les administrations, celle qui s’est adaptée le plus en profondeur.

Il lui a fallu faire face à la croissance considérable de son activité. Un seul chiffre pour la caractériser : de 2004 à 2016, le volume d’années d’emprisonnement ferme prononcé a fortement augmenté passant de 66 100 à 87 300 années. Il a fallu gérer une perpétuelle course à l’échalote entre la capacité opérationnelle des prisons et le nombre de personnes hébergées. Il a fallu recruter à tours de bras, alors que les métiers pénitentiaires sont peu attractifs. Il a fallu et il faut encore faire face à la crise du Covid, aux contaminations, aux absences du personnel. On peut s’étonner que l’institution ait tenu dans un tel contexte.

Des avancées dans les droits reconnus aux détenus

L’administration pénitentiaire a dû prendre en compte des avancées significatives dans les droits des personnes détenues. Certes, la surpopulation a aggravé leurs conditions de détention. Là aussi, un seul chiffre pour l’illustrer : 40% des détenus accédaient à une formation professionnelle au début des années 2010, moins de 13% en 2020. Mais le droit qui leur est applicable a été aligné, dans beaucoup de domaines, sur le droit commun, qu’il s’agisse par exemple du droit de vote, de l’accès au système hospitalier ou, tout récemment, de l’institution d’un contrat de travail.

Par ailleurs, la prison n’est plus la boîte noire qu’elle était autrefois, ou du moins pas au même degré. Le Contrôle général des lieux de privation de liberté (depuis 2007), le Défenseur des droits (depuis 2008), les parlementaires accompagnés de journalistes (depuis 2000), les bâtonniers de l’ordre des avocats (depuis 2021) peuvent visiter sans préavis un établissement pénitentiaire. Les détenus peuvent désormais saisir le tribunal administratif s’ils estiment que leurs conditions de détention sont contraires à la dignité humaine.

Centre pénitentiaire de Bordeaux Gradignan

Les priorités des responsables de terrain.

Un aspect intéressant du rapport est qu’il a interrogé les responsables d’établissements sur les sujets qu’ils jugent prioritaires. Retenons ici les trois premiers. En tête de leurs préoccupations vient la surpopulation : « elle nuit considérablement à la prise en charge des personnes détenues, à leurs conditions de détention et aux conditions de travail des personnels. Elle limite l’accès aux activités et est génératrice d’incidents et d’insécurité. Un numerus clausus devrait être instauré pour les maisons d’arrêt pour lutter contre la surpopulation. Les hébergements en dortoir posent difficulté ».

Les responsables d’établissement attirent l’attention sur le profil de la population carcérale : « certains établissements décrivent un public vieillissant, posant la question de la perte d’autonomie. La question des pathologies et troubles mentaux parmi la population carcérale est également soulignée. Il serait nécessaire de développer des prises en charges spécifiques (personnes vieillissantes, personnes présentant des troubles psychiatriques, personnes violentes…). La question de l’aménagement des très longues peines pourrait être repensée au regard de l’âge (parfois avancé) et de la dangerosité des détenus concernés ».

En troisième lieu, les responsables d’établissement citent l’état des bâtiments. « Certains locaux sont vieillissants, voire vétustes, ou inadaptés pour mener des activités, mettre en œuvre des régimes de détention différenciés ou encore développer des postes de travail en détention. Le fonctionnement est plus simple et plus efficient dans les petites structures qui permettent une meilleure cohésion sociale. »

Photo de Marc Loyon

Les limites du rapport parlementaire

On a reproché au rapport d’avoir fourni un nombre trop élevé de recommandations : cinquante-cinq au total. Les avis remontés par les responsables d’établissement pourraient aider à établir des priorités au plus près du ressenti du terrain.

Je vois pour ma part deux limites au rapport. Les associations intervenant en détention ont été auditionnées, mais le rapport ne  le consacre que trois-quarts de pages, soit moins de 0,2% de son contenu. Ne contribueraient-elles qu’à cette hauteur au fonctionnement des prisons françaises ?

La seconde limite est plus substantielle encore : l’absence de toute référence à ce qui se pratique dans d’autres pays. Pour ne citer qu’un exemple : l’Allemagne et les Pays-Bas organisent une décroissance de la population carcérale. N’y aurait-il pas des leçons à tirer pour notre pays si, comme les responsables d’établissement le soulignent, le problème principal est celui de la surpopulation ?

Il reste que, par la qualité de l’information qu’il fournit, le « rapport visant à identifier les dysfonctionnements et les manquements de la politique pénitentiaire française » constituera une Bible pour tous ceux qui auront besoin de données chiffrées et d’analyses sur la réalité de nos prisons.

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